Extrait   du  journal « Le Peuple » Hainaut du 3 novembre 1955

RÉVOLUTION SILENCIEUSE A L'ARMÉE BELGE D'OCCUPATION

Tout est en place, mais tout a changé
Selon les dispositions de l'Accord de Berlin du 5 juin 1945, divisant l'Allemagne en quatre zones et autorisant les Etats-Unis, le Royaume Uni, la France et l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques à se faire seconder dans l'occupation de leur zone par des pays ayant activement coopéré à là victoire, notre premier corps d'armée occupe depuis une dizaine d'années, un secteur de la zone britannique.

LE SECTEUR BELGE


Le territoire dont «  s'occupe » notre troupe a une superficie de 17.000 kilomètres carrés et comptait, en 1939 il est vrai, 3.350.000 habitants. Cela équivaut à la moi­tié de notre territoire national comme de notre population.

D' Aix-la-Chapelle à Bad Dri­burg, soit de l'extrême ouest à l'extrême est de notre secteur,comptons tout au plus 200 kilo­mètres. Du nord au sud, soit de Werl à Laasphe, une centaine de kilomètres.

Nous entretenons de plus (mais faut-il parler de corde dans la maison d'un pendu ?), nous « oc­cupons aussi» à se tenir prêtes à plier bagages, en moins de deux, quelques patrouilles dans la région Paderborn, Buren, Kassel.

DE TRES BELLES PAROLES

«  Tous les jeunes gens feront dans notre zone une partie de leur temps de service. Séjour qui n'est pas sans inconvénients, cer­tes, mais qui n'en constitue pas moins une expérience intéressante et une occasion précieuse de con­naître des sites nouveaux, des mœurs et des idées nouvelles, »

C'est un manuel de l'armée bel­ge qui le dit.

Mal tourné, « certes », mais l'in­tention y est. Même si l'on peut la juger inopportune, c'est, en effet, une occasion pour la jeunes­se belge d'apprendre à sentir qu'un homme d'outre-Rhin reste un homme qui aime, souffre, rit ou s'ennuie comme n'importe quel Français, Chinois ou Améri­cain.

Mais on peut douter que la grande armée belge l'entende ain­si. Jugez-en par ce que pose en principe le même manuel à l'usage du bon soldat (belge) :

«  La participation active à l'oc­cupation nous donne droit à des réparations substantielles pour les dommages importants que nous avons subis du fait de l'agression et de l'occupation allemandes ».

Les fauteurs de guerre doivent, en effet, payer une juste réparation à notre jeunesse. Mais si c'est ainsi que l'on inculque aux jeunes la fraternité humaine… Ce ne se­ront pas les industriels de la Ruhr qui auront payé, mais le peuple allemand, comme tous les peuples du monde…


DES RATS DANS UN FROMAGE ALLEMAND

Tous les militaires de carrière mariés et casernés en Allemagne étaient logés gratuitement dans une maison ou dans un appartement avec ou sans garage, muni de tout le confort moderne et bâti aux frais de l'Etat. Ils ne devaient payer ni eau, ni gaz, ni électricité. Ils recevaient une bonne à, tout faire, absolument tout, et gratis pro deo militorum.

Juste contrepartie des désavan­tages d’une « occupation » particulièrement fatigante bien sûr. D’ailleurs n’a-t-on pas alloué une indemnité de séjour à nos enfants, vu leur éloignement de la mère patrie, vu leur esseulement en cet enfer de privations et de famine qu’est censée rester l’Allemagne actuelle ?

Ne comptons pour rien la possi­bilité de faire ses achats à la Can­tine militaire centrale, organisme échappant aux taxes qui nous incombent et vendant donc à prix assez réduit pour que l'on aille lui donner couramment le qualifi­catif flatteur de « coopérative ».

Ne comptons pas les installa­tions sportives, les salles de spectacles (trois ou quatre cinémas gratuits dans la seule région de Cologne) mises gracieusement à la disposition des troupes occupan­tes. Et les soirées gratuites de la Welfare. Et les programmes sportifs militaires donc «entrée li­bre».

Ne faisons pas mention dl" l'es­sence que l'on peut se procurer à la caserne à 2 francs et quelques centimes le 1itre bien mesuré. Ne parlons pas du millier de cigarettes belges ou américaines à 3 francs le paquet.

Il ne faut surtout pas penser au tabac et au café que revendent tous nos militaires, ces bons Bel­ges, y compris la très sainte fem­me du colon, entre deux démar­chages pour la foi catholique. Il est vrai qu'elle a l'excuse de saper l'économie de l'ennemi...


DU DEFINITIVEMENT PROVISOIRE

Le jeudi 5 mat 1955, dix ans moins trois jours après la capitu­lation sans condition de l'armée hitlérienne, les Accords de Paris
déclarent que l'Allemagne occidentale a recouvré son statut d'Etat indépendant et souverain.

Les hauts commissaires alliés proclament « le statut d'occupation est abrogé ».

Alors ? Nos troupes rentrent en Belgique?

Les troupes alliées restent en Allemagne, non plus comme trou­pes d'occupation, mais en appli­cation 'd'une convention librement conclue entre le gouvernement de Bonn et les trois puissances occi­dentales.

Les frais d'occupation disparaissent du même coup, mais pendant une période transitoire in­connue du commun des mortels, la République fédérale continuera de payer aux puissances occiden­tales des frais de stationnement pour leurs troupes.

Donc tout semble provisoire­ment inchangé.

1er JUILLET 1955, C'EST LA COLLECTIVITE BELGE QUI PAIE

Mais beaucoup de choses ont changé pour nos ploucs.
Non pas en dix ans, mais du jour au lendemain.
A partir du 1ér juillet 1955, c'est l'Etat belge qui prend en charge les frais d'occupation. "Vous allez voir par quel détour la collectivité belge paie (mal) ce que l'Allema­gne, à bon droit sans doute payait (bien).
A partir du 1er juillet 1955, seul le logement, appartenant d'ailleurs à l'Etat belge, restera gra­tuit.
A partir du 1"' juillet, pour tous les militaires de carrière « instal­lés en famille », pour tous et un chacun, l'eau, le gaz, l'électricité, ni la petite bonne, plus rien ne tombera du ciel.
Il faut tout payer! Y compris son charbon, que l'on n'a pas su s'entendre à acheter en Commun au prix de gros, et que l'on devra donc payer cher et vi­lain aux revendeurs allemands.

D'ailleurs, tout a augmenté à la «  coopérative»: le prix des al­cools a triplé. Sans parler des cé­réales que l'on tient à toute force à acheter en Belgique et qui arri­vent à l'état déliquescent. Et com­me Adenauer a fulminé contre le marché noir qui lui sape son éco­nomie, maintenant, chacun « ris­que son grade» s'l1 essaie de re­vendre ses cigarettes qu'il doit d'ailleurs acheter les cinq cents premières à l'ancien prix, le reste à 10 francs le paquet.


GRINCEMENTS DE DENTS ET RIRES SOUS CAPE

Mais tout cela n'est rien, puisque ces avantages perdus et ces augmentations de prix sont com­pensées par une nouvelle indemni­té de séjour qui maintenant est octroyée par l'Etat.

Pour les sous-officiers, elle était de 2,10 marks; elle passe à 5 marks. De quoi se plaint-on ?

Bien sûr, mais il faut payer tous les frais du ménage, la bonne, le charbon, élever les gosses, les me­ner très loin à l'école parfois.

L'indemnité des officiers subal­ternes, elle, a été relevée de 4,20 marks à 10 marks par jour.

Donc le tout jeune officier à peine sorti de l'école militaire, à peine marié, qui n'a ni enfants ni soucis et qui trouve en Allemagne un appartement tout meublé à sa disposition, touche 10 marks par jour où un sous-officier ayant vingt-cinq années de service, avec gosses a nourrir, habiller, instruire et loger, reçoit exactement la moitié.

Et ne parlez pas de standing : dit le sous-officier, puisque cette allocation est censée couvrir les mêmes frais découlant pour tous du coup de barre du 1er juillet.


ET D'AUTRES PARADOXES


Un officier subalterne célibatai­re touche 2,10 marks jusqu'au gra­de de commandant. Un officier supérieur célibataire perçoit cha­que jour 10 marks jusqu'au grade de major. Pourquoi ces 96 francs de différence par jour pour une indemnité qui dans son principe, doit compenser la même perte d’avantages ?

Dans les hautes sphères, la dif­férence s'amenuise: les officiers supérieurs installés en famille valent 12 marks et les officiers généraux installés en famille ne sont estimés qu'à 14 marks par jour.


MECONTENTEMENT A L'ARMEE D'OCCUPATION

Comme on le voit la grosse bar­rière se fait surtout sentir entre sous-officiers et officiers. La gran­de masse a reçu la portion congrue. Le menu peuple a été lésé.

La marge du simple au double est trop grande entre sous-­officiers et officiers. Il fallait ré­partir plus en bas de l'échelle. Il n'est question ni de standing, ni de mérite, ni d'élite, ce que le traitement récompense. Du même gâteau, la moitié ne doit pas a11er à une minorité déjà dorée.

Notre armée, qui, à Arolsen, Pa­derborn ou Kassel, est constam­ment tenue prête à plier bagages en une heure, cette grande armée que la collectivité entretient main­tenant à grands frais, reste loin de la démocratie.

Jaly ANDRIANNE.

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